Le 13 novembre 2019 à Paris a été organisée la soirée de lancement pour la campagne de Paris Animaux Zoopolis pour les élections municipales de printemps 2020. En plus de l'association, qui avait fait connaître sa vision positive et protectrice du rat par une campagne d’affichage dans le métro parisien, plusieurs représentants des mouvements politiques à l’assaut de la mairie de Paris. Que ce soit Florence de Massol, représentante en “biodiversité et territoire” de LREM, Fabienne Roumet, conseillère en charge de la “biodiversité & agriculture urbaine” et sur les questions animales pour Cédric Villani, ou Danielle Simonnet, soutient de la France Insoumise et créatrice du mouvement, tous se sont au moins engagés sur certaines des 12 propositions de l’association. Parmi ces dernières, une proposition concerne la création d’un adjoint au maire dédié à la condition animale, et une autre l’arrêt de “l’empoisonnement” des rats. Ainsi, quand certaines dénoncent les “violences” faites au rat, d’autres soulignent qu’on ne peut pas continuer à utiliser des produits toxiques de dératisation, ou encore mettent en avant le besoin de mieux recenser le rat.
On le voit, depuis les différentes crues de la Seine, depuis le buzz d’une vidéo d’un éboueur en janvier 2018 montrant une poubelle remplie de plusieurs dizaines de rats, le rat est devenu une préoccupation politique majeure de la gestion de Paris. C’est un thème de campagne, sur lequel des acteurs sont amenés à prendre position.
Finalement, lors de cette réunion mais également sur les plateaux de télévision, dans les manifestations d’association de protection des animaux, et même dans des conférences scientifiques comme la tribune organisée au Muséum d’Histoire Naturelle sur “La saleté en Ville”, les acteurs se posent la question suivante : Quelles politiques publiques pour gérer le rat parisien et son écosystème ?
Au coeur de cette question se joue l’image du rat et son rôle dans la ville. En effet, Il fait partie intégrante de l’écosystème urbain parisien. Il jouit d’une mauvaise image et sa présence fait peur. Il est craint car est vecteur de bactéries, et dégrade les poubelles en cherchant de la nourriture. Il dégrade aussi l’image elle-même de la ville lumière en sortant de leurs terriers devant des touristes estivaux étonnés, alors qu’ils piquent-niquent dans les parcs. Mais de l’autre côté, le rat est utile à la ville. Amoureux du rats et défenseurs de la cause animale n’hésitent pas, en effet, à souligner cette méprise : le rat fait peur, avec ses petits yeux et sa queue sans poils, ses sorties nocturnes, mais il est en réalité un animal intelligent, propre, et utile à la ville. Il ingère une quantité significative de déchets et régule la gestion des poubelle. Sans le rat, Paris serait inondée de détritus.
Pour évaluer les risques, maux, ou bénéfices que le rat parisien peut apporter, celui-ci est pensé par les différents acteurs en relation avec son écosystème urbain. Le rat est là, il fait partie intégrante d’un environnement urbain complexe, où l’animal n’a, à première vue, pas sa place. Et pourtant, la ville est le seul environnement qu’il n’ait jamais connu, le seul environnement pour lequel il est biologiquement adapté. Les différents acteurs n'entendent cependant pas le terme d’”écosystème” de la même manière. Le rat pose-t-il problème par sa simple présence, ou bien parce qu’il est en surface, ou bien en sous-sol ? Pour certains le rat prolifère à la surface, d’autres soulignent qu’il est bénéfique pour les sous-sols, d’autres qu’il ne prolifère pas. Pour certains il est nuisible. Pour d’autres, la ville est son milieu de vie naturelle, et il a autant de raisons d’y habiter que l’humain. La responsabilité de la gestion de la ville devrait alors plus peser sur l’humain que sur son colocataire.
Ainsi, la présence du rat à Paris pose problème à de nombreux acteurs de la ville, mais ceux-ci ne considèrent pas le rat et son écosystème de la même manière car ils ont un vécu du rat différent. C’est pourquoi, nous avons regroupé les acteurs par problèmes, pour montrer comment le vécu du contact avec le rat, et la manière dont il s’attache à un ensemble d’instruments de quantification et/ou de prise en charge de la situation, ont pour conséquence de dessiner des compréhensions distinctes du rat et de son environnement.
Tout d’abord, la quantification des rats pose problème et suscite des désaccords. En effet, du nombre de rat dépend sa qualification de problème public et sa place dans l’agenda des actions publiques. S’il prolifère de manière incontrôlée, si le rat est de plus en plus nombreux dans les rues et les parcs de Paris, il est considéré comme une espèce nuisible. Mais si le nombre de rat reste stable, alors on a plus tendance à dire qu’il occupe la place qui lui ait naturellement dédiée dans l’écosystème urbain de Paris. De plus, non pas le chiffre mais la quantification elle-même pose problème : le rat est présent dans les égouts comme en surface, les groupes de populations se renouvellent, se déplacent, sont difficiles à capturer, entre autres. Comment évaluer le risque causé par le nombre de rat si ce chiffre lui-même semble très difficile à obtenir, ou du moins jamais satisfaisant ?
Ensuite, l'écosystème urbain est un lieu d'interaction entre l’homme et le rat. Dès lors se pose la question des risques sanitaires que véhicule le rat à Paris. On accuse le rat d’être sale et de transporter des maladies. À la peste a succédé la leptospirose, une maladie transmise par l’urine ou la salive des rongeurs. Seulement, c’est une maladie encore assez mal connue, autant du côté des scientifiques que des parisiens, et il n’y a pas d’étude spécifiques sur les cas de leptospirose à Paris causées par l’espèce de rongeur qu’est le rat lui-même. Le rat véhicule également d’autres bactéries et virus, mais s’ils sont dangereux pour l’homme restent encore une question floue. Et cela ouvre la voie à des discours d’acteurs non scientifiques, qui utilisent ce vide relatif pour déclarer parfois que le rat est un danger de santé publique, parfois qu’il ne représente aucun danger. On accuse aussi le rat de dégrader les poubelles, alors qu’il participe activement à la gestion des déchets à Paris en ingérant un poids non négligeable de détritus. De plus, la gestion de ces derniers dépend de l’homme, qu’on pourrait voir comme responsable des installations et de la gestion des déchets.
Ces questions de quantification et de risque sanitaire engendrent naturellement une dernière interrogation : comment prendre en charge le rat à Paris ? Les acteurs de notre controverse proposent différents instruments d’action publique à ce sujet, allant du traditionnel piège mécanique à la contraception chimique, en passant par le déplacement des populations. Les plus gros détracteurs du rat prônent une dératisation totale. D’autres utilisent le terme de “lutte raisonnée” et soulignent qu’une meilleure connaissance du rat est nécessaire. Les acteurs de la protection animale soulignent quant à eux que toute forme de dératisation, comme elle fait souffrir le rat est, à supprimer, voire est criminelle. Ils vont même plus loin, en disant que le rat a tout autant (voire parfois plus) le droit d’occuper son écosystème naturel, qui est la ville de Paris, que l’homme, et que ce dernier, à cause de son comportement, est responsable du développement des rats en surface. Globalement, pouvoirs publics, scientifiques, associations de protection des animaux et dératiseurs prennent part à l’organisation des relations entre l’homme, le rat et la ville, qui va de l'élimination pure et simple d’un nuisible à la cohabitation équilibrée de deux espèces animales qui habitent le même écosystème.